I - 1960 : LA RÉVÉLATION de l’OBJET.

Nous sommes en Juin 1960. Collégien en classe de 5ème dans le Sud-Ouest de la France, je participe à un voyage scolaire dans le Nord de l’Espagne, plus précisément à Bilbao et Santander.

Dans l’autobus qui nous emmène dans cette riche région de la péninsule Ibérique, je suis à cent lieues d’imaginer que je vais devenir, bien involontairement, l’acteur et le témoin d’un évènement dont vous allez être, à votre tour, le spectateur émerveillé. Du moins je l’espère !

A l’occasion d’une petite incursion dans une boutique de souvenirs, j’avise un rayon lourdement encombré de porte-clés.

Je vous rappelle que nous sommes au tout début des années soixante et, si le tsunami porte-clés ne s’est pas encore déchaîné, ce petit objet anodin a déjà fait parler de lui, y compris jusqu’au milieu de la forêt landaise d’où je suis originaire.

Je commence donc à fouiller cet étalage "caverne d’Ali baba" lorsque mon attention est soudain attirée par l’un d’entre-deux dont la forme m’est totalement inconnue et, surtout, dont les inscriptions me semblent pour le moins … bizarroïdes.

Je le prends en main, l’observe ; Il a une rondelle en métal fixée aux extrémités d’un arc de cercle à l’intérieur duquel elle peut tourner. Je regarde le premier côté de ce disque : il porte des traits horizontaux, verticaux et obliques qui sont gravés dessus et dans lesquels je ne perçois aucune signification. Je fais faire un demi-tour pour voir l’autre face et là, même chose : les mêmes traits mais agencés différemment.

À treize ans, pratiquant le scoutisme et les colonies de vacances, j’avais une certaine habitude des jeux de piste et des messages codés mais, face à cette énigme, je restais … sec !

La fameuse rondelle étant mobile, j’eus toutefois la bonne idée de lui donner une chiquenaude avec l’index, un peu comme l’on fait au jeu de billes avec son "calo " et là, ce fut miraculeux !

Frappé par mon doigt, le disque se mit à tourner très vite. Sous l’effet de la rotation ainsi imprimée… et de je ne savais quelle magie, les traits verticaux, horizontaux et obliques gravés sur chacune des faces s’agencèrent alors sous mes yeux ébahis pour dessiner des mots.

En tournant suffisamment vite, cette rondelle de métal brillant me délivrait le plus surprenant des messages : " TE QUIERO " ce qui, dans la langue de Cervantès, qui se trouvait être celle de notre lieu de villégiature, signifie " JE T’AIME".

Avec deux ans d’ancienneté dans l’étude de la langue espagnole, je compris immédiatement le sens de ce message, sans toutefois percevoir la portée qu’allait avoir, cinquante ans plus tard, la découverte pragmatique de ce génial et mystérieux objet et de son principe de fonctionnement.

Bien évidemment, ayant en poche quelques centaines de pésètes, j’achetai la chose, au demeurant peu onéreuse, et la rapportai fièrement en France, persuadé - que dis-je ? convaincu - de détenir une pièce unique susceptible d’épater parents et copains et…probablement de délivrer des messages subliminaux aux copines qui auraient le privilège de le voir tourner.

Du moins je l’imaginais.

De poches en passants de ceinture, de trousses en cartables, l’objet merveilleux perdit peu à peu son côté magique. On ne peut en effet renouveler ses amis sous prétexte qu’ils sont un peu las de voir tourner un porte-clés, aussi "super" soit-il !

Au fil des mois, son pouvoir d’étonnement s’émoussa et le conduisit probablement dans un tiroir où l’oubli mit un terme à une carrière, courte certes, mais néanmoins glorieuse.

Est-il mort ? S’est-il enfui ? Je ne l’ai en tout cas jamais revu. J’en éprouve une certaine tristesse en me rendant compte que, durant d’années, j’ai ignoré son nom.